Laisse moi te parler Elles ont dit “non”
On a beau en parler dans les médias, ces violences continuent, souvent décidées par les parents. Mariées de force, beaucoup n’ont pas le courage de tourner le dos à leur famille pour s’enfuir. D’autres échouent. Ou se retrouvent à la rue. Certaines ont réussi. Ces filles, réfugiées chez nous, parfois françaises, racontent leur parcours terrible à notre reporter.
В« RГ©duites au rГґle de bonniches, elles sont violentГ©es В»
Zeliha Alkis, association EllerA ses risques et périls, elle a rompu avec la communauté turque et se bat depuis quatre ans contre ce qu’elle appelle « le mariage de larmes ». Une fois de plus, elle vient de recevoir une menace de mort. « J’ai une soif de sang, je n’ai plus rien à perdre, je vous choperai ! » La voix tremblante, Zeliha explique qu’il s’agit du mari d’une des nombreuses victimes qui viennent la voir, en majorité des Turques. « Ces hommes savent que je suis turque, ils ne conçoivent pas que je m’oppose à la pratique du mariage forcé. »
“Le bac en poche, elle dГ©cide d’Г©chapper Г ce “lavage de cerveau”, encouragГ©e par ses professeurs”
Elle a grandi dans la communauté turque de Quimper. Foulard de rigueur, interdiction de porter des jupes, école obligatoire « mais sans ambition professionnelle puisque les filles ont un avenir familial tout tracé » et sous le regard plombant des hommes qui surveillent la moindre incartade. « L’accès à la culture, c’était comme perdre un peu de sa virginité. Même aller au cinéma, c’est pour les putes, comme ils disaient. » Son père tente bien de lâcher un peu la bride, mais la pression du groupe est si forte qu’il renonce. « S’il me laissait un peu de liberté, il était mal vu. Un jour, dans un café, il a surpris une discussion : j’avais osé porter une jupe, et on disait avoir vu ma culotte. Il a eu un choc et, de retour à la maison, humilié, il m’a demandé de surveiller mes tenues. Ils foutent la merde dans les familles et montent les pères contre leurs enfants. » Cette scène familiale est un déclic. Imprégnée de lectures, elle décide, le bac en poche, d’échapper à ce « lavage de cerveau », encouragée par ses professeurs. Elle fonde alors l’association Elele (« main dans la main », en turc), qui délivre des cours de français et aide les Turques victimes de violences conjugales.
Un travail harassant. Certaines femmes sont même mariées de force à des homosexuels pour sauver les apparences. « Réduites au rôle de bonniches, elles sont violentées, jetées à la rue. Comme leurs conjoints n’ont rien fait pour les régulariser, elles se retrouvent seules, sans papiers, et certaines tentent de se suicider. » Zeliha évoque « une violence administrative ». Lorsque, dans l’urgence, elle appelle le Samu social, on lui répond qu’il n’y a pas de place ou qu’on ne prend que des Parisiennes. « La loi est une avancée, mais ces femmes rejetées, je les récupère souvent dans la rue. Je rattrape des cas désespérés. Et je mendie pour en avoir les moyens. »
Fanta Sangaré, l’exil, après cinq enfants
Sa dernière victoire : avoir empêché une lycéenne et une collégienne de partir en Gambie pour un mariage forcé. Après signalement au juge pour enfants, ces dernières sont à l’abri dans un foyer. Les
parents, menacés de prison, ont renoncé à leur projet. Responsable de l’association Femmes Relais, Fanta a été alertée après son passage dans des classes de Seine-Saint-Denis, où elle prodigue des conseils aux jeunes filles. Elle sait de quoi elle parle. Malienne, elle fut la première à s’enfuir au péril de sa vie après avoir été mariée de force. Encore aujourd’hui, elle est régulièrement agressée par des « compatriotes » lorsqu’elle fait ses courses : « Tu fais la belle, la femme libre, tu vas voir. » Un geste violent est souvent associé au propos. Après une journée épuisante à s’occuper de femmes d’origine étrangère (32 nationalités) dans une cité de Bobigny, elle nous reçoit dans son petit pavillon. Dans le salon : une photo d’elle recevant l’Olympe d’or (en référence à Olympe de Gouges) pour son travail en faveur de l’égalité hommes-femmes.
“Au moment de signer le registre, j’ai pris conscience que j’Г©tais placГ©e devant le fait accompli”
« A 16 ans, j’ai été mariée contre mon gré à un homme de dix ans mon aîné. Il était encore étudiant à l’Ecole d’administration de Bamako. Tout avait été arrangé par ma famille. Sur mes papiers, on m’avait vieillie d’un an pour que j’aie l’âge légal. Cela me paraissait normal. Je ne faisais que suivre une coutume. J’avais juste posé comme condition de pouvoir finir mes études et, surtout, que mon mari ne soit pas polygame. Ayant vu les femmes de ma famille se disputer en permanence, je ne voulais pas vivre la même chose. J’avais accepté le principe du mariage. Mais le jour de la cérémonie, j’ai eu comme un flash devant le maire. Au moment de signer le registre, j’ai pris conscience que j’étais placée devant le fait accompli. Je n’ai pas osé gâcher la fête. La pression familiale. Après l’Ecole normale supérieure de Bamako, j’ai enseigné plusieurs années. Comme j’avais mis au monde trois filles, mon mari a décrété qu’il lui fallait une seconde femme pour avoir un garçon. C’en était trop. Je menais une vie confortable, avec de l’argent et un chauffeur auprès d’un oncle haut placé. Mais j’ai décidé de tout laisser tomber. Mon éducation m’avait permis de lire Rousseau, Simone de Beauvoir, Olympe de Gouges et sa fameuse Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791. Pour ne pas étouffer, il me fallait quitter mon carcan. J’ai été plus fine que mon mari. Je lui ai dit que je voulais aller en France tenter ma chance et que, comme il avait une autre femme, c’était moins grave pour lui. La vérité, c’est que j’allais à Paris pour divorcer. A ce moment-là , j’avais cinq enfants (dont deux garçons !). Mon mari a tout fait pour bloquer la procédure de divorce mais, à force d’acharnement, l’acte a été validé par valise diplomatique.